dimanche 12 novembre 2017

La Presse: 1884-2017 (du moins pour le papier...)

Le journal La Presse est fondé en 1884 par William-Edmond Blumhart. Il s’agit alors du journal d'une faction de Conservateurs qui soutient  Joseph-Adolphe Chapleau, alors en conflit avec un autre membre du cabinet  de John A. MacDonald, Hector-Louis Langevin. Blumhart fonde tout d’abord un journal nommé Le Nouveau Monde, afin de concurrencer le journal de ses adversaires, Le Monde. Mais sous la menace d’injonctions et de poursuites, il décide de fonder un nouveau journal qui paraît pour la première fois le 20 octobre, La Presse.

BAnQ via Wikipédia
En 1889, Trefflé Berthiaume prend le contrôle du journal et il en devient officiellement propriétaire en 1894. La Presse supporte alors plus ou moins ouvertement les libéraux de Laurier. En 1904, Trefflé Berthiaume vend son journal au conservateur David Russell. Mais  grâce à l'intervention de Wilfrid Laurier, il rachète a son journal en 1906, le ramenant ainsi dans le giron libéral.

Trefflé Berthiaume meurt en 1913. Malgré de nombreuses querelles de succession, La Presse demeurera entre les mains de la famille Berthiaume-Du Tremblay jusqu'en 1967. Le journal est alors acheté par Trans-Canada propriété de Power Corporation. À partir de 1968, tous les journaux de la compagnie de Paul Desmarais sont regroupés dans la nouvelle filiale Gesca.


Premier média de masse francophone

La Presse (avec le Montreal Star du côté anglophone), sera au tournant du 20e siècle l'exemple le plus frappant du passage de la presse d'opinion à la presse d'information, alors que le contenu du journal et sa présentation changent radicalement, On peut facilement le constater en comparant la une du journal en 1884 et en 1912.

La presse québécoise de 1884 à 1914: genèse d'un média de masse, p. 208

La presse québécoise de 1884 à 1914: genèse d'un média de masse, p. 208


La nouvelle occupe désormais une place de choix au détriment du commentaire politique et l'illustration et les grands titres changent l'apparence du journal. Le contenu est diversifié, de nouvelles pages sont créées afin de rejoindre tous les membres de la famille. On obtient ainsi un lectorat plus nombreux et varié, ce qui permet de remplacer le financement traditionnel, qui provenait principalement de partis politiques et d’abonnements coûteux, par les revenus publicitaires. Cela permet de baisser le coût de la copie, ce qui favorise aussi une hausse du lectorat. On qualifie La Presse et Le Montreal Star de premiers médias de masse du Québec. La Presse connut notamment un grand succès dans les milieux ouvriers grâce aux chroniques de Jules Helbronner, qu'il signait Jean-Baptiste Gagnepetit et où il prenait  la défense des travailleurs et des locataires.

Conflits de travail

Plusieurs conflits de travail vont marquer l'histoire de La Presse. Suite à la grève de 1958, on introduit la signature des articles, ce qui ouvre une nouvelle ère de vedettariat dans le monde des journalistes. La grève de 1964, qui se transforme en lock-out de sept mois, sera marquée par l'apparition d'un concurrent redoutable, Le Journal de Montréal. Un autre lock-out, entre 1971 et 1972, fera perdre des lecteurs au profit du Journal de Montréal et du Montréal-Matin. Les difficultés financières apportées par une nouvelle grève en d'octobre 1977 à avril 1978 entraînera la fermeture du Montréal-Matin et de La Patrie, des journaux que La Presse avait acquis dans le but de mieux concurrencer le Journal de Montréal.

Virage technologique


Le premier édifice de La Presse rue St-Jacques, occupé à partir de 1900.
 Par Jeangagnon via Wikimedia Commons 
Depuis quelques années, La Presse est à nouveau au cœur de grandes transformations dans le monde des médias écrits, ayant été le premier journal québécois à créer une application tablette La Presse + est apparue en avril 2013. L’édition papier du quotidien est supprimée à la fin de l’année 2015 et la disparition complète du papier est prévue pour la fin de l’année 2017 avec la suppression de l'édition papier de La Presse du samedi.

Ce qui amène une question sémantico-existentielle pour l’auteure de ce blogue sur l’histoire des journaux. Le média La Presse existe toujours, mais parle-t-on encore de journal? D'ailleurs, quand il n'y aura plus de version papier, est qu'on continuera à préciser «La Presse +» ou si on revendra simplement au nom La Presse? À suivre...

Mise à jour: Même si ce billet de blogue porte sur La Presse version papier, nous tenons à souligner la transformation majeure du mode de propriété annoncée en mai 2018.

Principales sources:

  • André Beaulieu et Jean Hamelin:  La presse québécoise des origines à nos jours.
  • Jean de Bonville: La presse québécoise de 1884 à 1914: genèse d'un média de masse
  • Dictionnaire biographique du Canada
  • BAnQ (ressources numériques, périodiques)




mardi 3 janvier 2017

Le Montréal-Matin (L'Ilustration) 1930-1978

Le Montréal-Matin est d'abord publié sous le titre L'Illustration, dont le premier numéro paraît le 4 juillet 1930. L'Illustration fut le premier tabloïd du Québec. De sa fondation jusqu'en 1941, le journal est imprimé sur du papier rose. Dès le début, la photographie et les illustrations y occupent une place de choix.


De L'illustration au Montréal Matin (1930-1947)

Le journal L'Illustration est fondé par le journaliste Fernand Dansereau (rien à voir avec le scénariste des Filles de Caleb!) et Eugène Berthiaume. Fils de Trefflé Berthiaume, ce dernier a été écarté de la gestion du journal La Presse suite à la mort de son père. Le journal obtient aussi un soutien financier du Parti Conservateur. D'ailleurs, dans les premières années,  L'Illustration sert le combat de Camillien Houde contre le gouvernement Tachereau. Le politicien prend plus ou moins le contrôle financier et éditorial du journal entre l'automne 1930 et l'hiver 1933. Puis, le journal devient favorable aux idées de L'Union nationale et se son chef Maurice Duplessis. 

BAnQ
Suite à des difficultés financières, le journal devient L'Illustration Nouvelle en février 1936. Cette même année, un certain Andrien Arcand est embauché comme rédacteur en chef. Il restera au journal jusqu'en 1939 et en sera même actionnaire minoritaire. Son patron, Eugène Berthiaume, l'encourage dans ses prises de positions contre le communisme et en faveur de la montée des gouvernements fascistes en Europe, mais le freine dans ses élans antisémites, notamment pour ne pas se mettre des annonceurs à dos.

En 1941, la compagnie qui possède officiellement le journal, la Fédération des Journalistes canadiens, a un nouveau Président ,Jacques-Narcisse Cartier. qui en devient aussi le directeur. C'est ce dernier, qui choisit de le relancer la feuille sous le nom de Montréal-Matin. C'est aussi lui qui embauche le jeune journaliste sportif Jacques Beauchamp, qui n'a que 17 ans à son entrée au journal en 1944. 


Le journal de l'Union Nationale (1947-1972)

En 1947, le  Montréal-Matin est acheté par les Éditions Laviolette, qui sont en fait une propriété de l’Union Nationale. Les titres de propriété la compagnie seront remis de chef en chef, de Maurice Duplessis à Gabriel Loubié. 

Comme le souligne Mathieu Noël dans sa thèse parue en 2014, le journal montrait ses couleurs en période électorale, ou lors de d'événements majeurs, comme la grève d'Asbestos. Mais de manière générale, le Montréal-Matin demeurait un journal populaire dont l'objectif était surtout d'obtenir un grand tirage. Car encore plus qu'une tribune, le Montréal-Matin fut une source de revenus pour l'Union Nationale. 

C'est pourquoi le journal accordait une large place dans ses pages aux nouvelles locales, aux faits divers et aux nouvelles sportives. Ces dernières deviendront vraiment la grande spécialité du journal, au point d'occuper jusqu'à la moitié de ses pages à certaines époques. Le Montréal-Matin innove en mettant de l'avant non seulement les résultats des différentes équipes, mais aussi la chronique sportive.  

Collection Sébastien Desrosiers
Selon Beaulieu et Hamelin, le Montréal-Matin fait dans les années 1960 des profits annuels de 400 000 dollars, malgré l'apparition du Journal de Montréal en 1964, qui présente le même type de contenu et qui viendra même lui prendre son chroniqueur sportif vedette et directeur des pages sportives, Jacques Beauchamp en 1969.

Après la défaite de Jean-Jacques Bertrand en 1970, l'indépendance du journal devient un sujet de mécontentement au sein du parti. On décide alors de vendre le Montréal-Matin. Un groupe d'hommes d'affaires unionistes ayant à leur tête Réjent Desjardins s'en porte acquéreur en 1972. Ils se retrouvent rapidement en difficulté financière. 


Déclin et fermeture (1972-1978)

En août 1973, le Montréal-Matin est acheté par La Presse, dans une tentative de contrer la popularité grandissante du Journal de Montréal. On découvre alors que la nouvelle acquisition est au bord de la faillite. En plus de divers investissements pour relancer le journal, on décide de fusionner plusieurs secteurs des deux journaux, dont l'imprimerie. En 1976, on déménage la salle de rédaction du Montréal-Matin dans l'édifice de la rue Saint-Jacques. Les dernières années du journal seront marquées par une perte d'autonomie du Montréal-Matin face aux cadres de La Presse


Les pertes financières et les baisses de tirages occasionnées par la grève des employés de La Presse, d'octobre 1977 à mai 1978, mènent à la fermeture du Montréal-Matin en décembre de cette même année.


Parmi les journalistes qui sont passés par le Montréal-Matin, on compte Claude Poirier, Yvon Pedneault, Claude Picher. Jean-Pierre Charbonneau, Louise Cousineau et Pierre Foglia. Au milieu des années 1970, Marc Laurendeau en était l'éditorialiste en chef. 

Principales sources:
André Beaulieu et Jean Hamelin,  La presse québécoise des origines à nos jours.

Mathieu Noël, Le Montréal-Matin (1930-1978). Un journal d'information populaire, Thèse de doctorat de l'Université du Québec disponible ici. (Je vous la recommande chaudement si vous souhaitez en apprendre davantage sur l'histoire de ce journal).