vendredi 16 décembre 2016

L'Avenir et Le Pays: Les journaux des Rouges

Antoine-Aimé Dorion, chef du Parti Rouge
Les Rouges

Avant de faire l'histoire des deux principaux journaux qui ont  servi de tribune à leurs idées et combats, il me paraît essentiel de décrire ce groupe idéologique et politique que furent Les Rouges. Pour ce faire, utilisons tout simplement les mots d'un grand historien, Jean-Paul Bernard, qui débute ainsi l'introduction de son ouvrage sur le sujet paru en 1971: «Dans l'histoire du Canada, on désigne généralement sous le nom de Rouges les libéraux doctrinaires et anticléricaux de l'époque de l'Institut canadien, de même que les héritiers, au milieu du XIXe siècle, du radicalisme des Patriotes.» Toujours selon Jean-Paul Bernard, Le «rougisme» est à situer dans la période 1847-1867, puisque par la suite on verra une déradicalisation du mouvement, qui mènera à la «création» du Parti libéral de Laurier.

Les Rouges, influencés par les révolutions libérales qui se déroulent en Europe à cette époque, font la promotion du républicanisme, du suffrage universel et de la séparation des intérêts de l'Église et de l'État. L'idée qui nous qui nous semble peut-être la plus surprenante aujourd'hui est leur promotion de l'annexion du Bas-Canada aux États-Unis. Les Rouges considèrent que les Canadiens français auraient une meilleure chance de s'épanouir dans cette république qu'au sein de l'Union de 1840 et de l'Empire britannique. On est alors convaincu que la langue la foi y seraient respectées.

Le lieu de ralliement des Rouges est l'Institut canadien de Montréal, où se tiennent des conférences et débats et où l'on trouve une bibliothèque comprenant de nombreux ouvrages interdits par l'Église.


L'Avenir (1847-1857)

J.B.É. Dorion
En 1847, Jean-Baptiste-Éric Dorion et George Batchelor fondent le journal Le Sauvage, dont le premier numéro paraît le 24 juin et le second le 3 juillet. Le journal est ensuite rebaptisé L'Avenir, alors que Batchelor en devient l'unique propriétaire et que Dorion en est le rédacteur en chef.

Parmi ses plumes les plus marquantes on compte Jean-Baptiste-Éric Dorion, dit «l’enfant terrible», Louis-Antoine Dessaulles, neveu de Papineau inspiré par Félicité de Lamennais,  l'avocat Joseph Doutre, qui s'illustrera dans l'Affaire Guibord, ainsi que Charles Laberge. On y écrit par ailleurs régulièrement sous des pseudonymes, ce qui est courant dans les journaux de l'époque. 

L.A. Dessaulles
C'est à partir de novembre 1847, que L'Avenir devient plus virulent et s'engage dans un combat d'idées avec les journaux conservateurs et ultramontains. Il s'en prendra notamment régulièrement aux Mélanges Religieux, porte-parole officieux de l'évêché montréalais.  La plupart des collaborateurs de L'Avenir sont des membres de l'Institut canadien de Montréal, qui se détachent des idées du Réformiste Lafontaine pour soutenir celles de Papineau, de retour au pays depuis 1845. Le journal demande notamment  le rappel de l'Union. 

Lorsque L'Avenir publie en août 1848 ce qu'on appellera le manifeste des Rouges, il devient l'organe officiel du Parti Rouge, pendant politique du mouvement. À partir du printemps 1849, l'anticléricalisme est de plus en plus présent. On commence aussi à parler d'annexion aux États-Unis. L'Avenir prône aussi l'abolition du régime seigneurial, ce qui le place alors en désaccord avec Papineau et Dessaulles qui sont tous deux seigneurs. 

La publication de L'Avenir connaîtra diverses interruptions causées par des difficultés financières, entre autres suite à un incendie qui détruit ses installations en 1850.

L'Avenir eu pour sous-titres au fil du temps:
  • Journal publié dans les intérêts populaires 
  • Journal publié dans les intérêts de la jeunesse
  • Journal publié dans les intérêts de la jeunesse et du commerce
  • Journal républicain publié dans les intérêts populaires 

Le Pays (1852-1871) 

Le premier numéro du journal Le Pays paraît le 15 janvier 1852. Le journal L'Avenir connaît alors des difficultés financières et  Jean-Baptiste-Éric Dorion doit en suspendre la publication. Le Pays est fondé par l'imprimeur Jacques-Alexis Plinguet et le libraire Édouard-Raymond Fabre.  Ses premiers rédacteurs sont Louis Labrèche-Viger et Louis-Antoine Dessaulles. Napoléon Aubin et Arthur Buies seront d'autres figures marquantes de ce journal de combat. 

Comme L'Avenir, Le Pays prône l'annexion aux États-Unis, en plus de combattre le projet de Confédération. Son idéal politique reste la république. On souhaite aussi la séparation du spirituel et du temporel. Ses positions le mènent à s'engager dans de virulentes guerres de plume avec les journaux conservateurs ou religieux de l'époque, comme La Minerve, Le Journal de Québec, Le Nouveau Monde et L'Ordre. Les artisans du Pays s'intéressent aussi au commerce et à l'industrie, des sujets qu'ils jugent négligés par les autres journaux francophones. 

Peu après la Confédération, les départs de Aubin et Dessaulles marquent le début d'un déclin. Selon les historiens André Beaulieu et Jean Hamelin, Le Pays cesse d'être le «farouche combattant que l'on avait connu». 

Principales sources:



Jean-Paul Bernard, Les Rouges. Libéralisme, nationalisme et anticléricalisme au milieu du XIXe siècle , Les Presses de l’Université du Québec, 1971.


Jean-Paul Montminy, « L’Avenir, 1847-1852 », dans Fernand Dumont, Jean-Paul Montigny et Jean Hamelin, Idéologies au Canada français, 1850-1900, Québec : Les Presses de l’Université Laval, 1971.

André Beaulieu et Jean Hamelin, La presse québécoise des origines à nos jours, Presses de l'Université Laval.
 


lundi 10 octobre 2016

La Minerve: patriote, modérée, conservatrice

La Minerve en 1826. BAnQ
Le journal La Minerve est fondé à Montréal par Augustin-Norbert Morin, un étudiant de 23 ans. Son objectif est de remplacer Le Canadien pour défendre les idées du parti patriote. Un prospectus est lancé le 14 octobre 1826 et le premier numéro est publié le 9 novembre suivant. Morin est alors le directeur politique du journal, tandis que John Jones en est l'imprimeur. La Minerve utilise les presses de l'imprimerie de Dominique Bernard, propriétaire du Canadian Spectator, journal patriote de langue anglaise.  Le journal connait rapidement des difficultés financières et le 27 novembre, on en suspend déjà l'impression. Il avait alors quelques 240 abonnés. 


Duvernay par Notman. Musée McCord

Ludger Duvernay achète La Minerve le 18 janvier 1827. Morin en demeure le rédacteur et le directeur politique et Duvernay participe à la direction et imprime le journal. On profite de la relance, le 12 février, pour recommencer la tomaison, comme s'il s'agissait d'une nouvelle feuille.

Ludger Duvernay, qui sera un des fondateurs de la Société Saint-Jean-Baptiste, fait de La Minerve la voix du mouvement patriote et l'un des journaux les plus lus de cette époque. Le journal peut compter en 1832 sur environ 1300 abonnés, et est régulièrement cité sur la place publique et au parlement. On trouve parmi ses collaborateurs Denis-Benjamin Viger, Louis-Hippolyte La Fontaine et Louis-Joseph Papineau, bien que les articles de soient pas signés et que le directeur assume toutes les conséquences du contenu publié. 
 
Le Duvernay de cette époque est fougueux et n'hésite pas à interpeller personnellement ses ennemis politiques. En plus de démêlés avec la justice, cette impétuosité le mènera jusqu'au duel en 1936, contre Clément-Charles Sabrevois de Bleury, cofondateur du journal Le Populaire et député de Richelieu.

La Minerve en 1835. BAnQ
Ludger Duvernay est arrêté une première fois pour diffamation en 1828. En 1833, le clergé appelle au boycott de La Minerve. Duvernay est emprisonné une seconde fois en 1832 pour libelle diffamatoire, en compagnie de Daniel Tracey, rédacteur du Vindicator. En septembre 1836 il fait un autre séjour en prison pour outrage au tribunal.  En novembre 1837, le gouverneur Gosford émet des mandats d’arrestation contre 26 leaders patriotes, dont Duvernay. ce dernier s'enfuit aux États-Unis et un seul numéro de La Minerve paraîtra après son départ. 




Retour d'exil: de modéré à conservateur

Ludger Duvernay revient d'exil en 1842. Il ressuscite son journal à l'invitation du modéré Louis-Hyppolite Lafontaine, qui a besoin d'un organe de presse pour soutenir son Parti réformiste, qui revendique notamment la responsabilité ministérielle. Le journal deviendra l'adversaire des idées plus radicales des Rouges, exprimées dans les journaux L'Avenir et Le Pays.

À partir de 1854, La Minerve et son propriétaire défendent l'Alliance libérale-conservatrice de George-Étienne Cartier et de John A. Macdonald qui remplace les Réformistes à la tête du Canada-Uni.

L'après Duvernay: Confédération et conservatisme


Ludger Duvernay meurt en 1858 et La Minerve devient la propriété de Duvernay et Frères (Napoléon et Denis). En 1879, ils vendent à Clément-Arthur Dansereau, copropriétaire depuis 1870. Dansereau revend le journal pour la somme de 38 000 dollars à la Compagnie d'imprimerie de La Minerve, organisée par l'homme politique Joseph-Charles Taché.

La Minerve en 1895. BAnQ
À partir de 1889 les propriétaires se succèdent:
1889: Trefflé Berthiaume
1891: Sénécal, Poitras et Cie.
1892: Eusèbe Sénécal 
1898: Compagnie du journal Le Monde
Après une suspension en 1897 en raison de difficultés financières, le journal est brièvement relancé en 1898. Mais ce journal d'opinion est incapable de s'adapter aux nouvelles boulversements que vit la presse écrite et subit le contrecoup de l'arrivée au pouvoir des Libéraux de Laurier. La Minerve ferme définitivement ses portes le 27 mai 1899.

Malgré tous ces changements de propriétés, La Minerve est demeurée fidèle aux Conservateurs, soutenant les idées de George-Étienne Cartier puis de Joseph-Adolphe Chapleau. Elle a défendu le projet de Confédération, les chemins de fer et le protectionnisme. 

Principales sources:
  • André Beaulieu et Jean Hamelin, La presse québécoise des origines à nos jours.
  • Collection numérique de BAnQ.
  • Le dictionnaire biographique du Canada.
  • L’encyclopédie canadienne.